Peut-être un jour ... à la gare ...
Août 1914 ... , le temps des moissons ...
Pantalon
garance
et
"fleur
au
fusil",
nos
"petits
soldats"
partent
défendre
le
pays.
Promis, ils seront rentrés pour les vendanges...
Ils seront partis pendant quatre ans.
"DEBOUT, FEMMES FRANÇAISES ... "
Cet
appel
est
lancé
par
le
Président
du
Conseil
des
ministres,
René
Viviani
aux
lendemains de l'entrée en guerre de la France ...
Il
ajoute
"Remplacez
sur
le
champ
du
travail
ceux
qui
sont
sur
les
champs
de
bataille".
Et
les
femmes,
pendant
que
les
hommes
sont
"enterrés"
dans
les
tranchées
creusées
de
la
Mer
du
Nord
à
la
Suisse,
vont
relever
le
défi
et
"faire
tourner
la
boutique".
Toute la population féminine va s'investir dans "l'effort de guerre",
Dans la France essentiellement rurale de la "Belle Époque", les paysannes seront les premières à retrousser leurs manches.
A
la
ferme,
celles
qu'on
appelle
"les
gardiennes",
rentrent
les
moissons,
soignent
le
bétail,
conduisent
les
machines,
pressent
le
raisin
(il
faut
penser au "pinard" du soldat), tirent la charrue ... puisque les chevaux sont réquisitionnés par l'armée !
Dans les villes et les villages, les Françaises prennent le chemin des bureaux, des banques, de la fonction publique.
Elles deviennent factrices, institutrices, "tambours de ville".
A Paris, on rencontre même des "tueuses" aux abattoirs de La Villette ...
Non
seulement,
les
femmes
remplacent
les
hommes
dans
leurs
travaux
de
"temps
de
paix",
mais
elles
vont
"travailler"
pour
équiper
et
ravitailler
les armées.
Elles
cousent
inlassablement
des
uniformes,
confectionnent
des
millions
de
chaussures
pour
ceux
qui
sont
au
Front
(une
paire
dure
à
peine
deux
mois dans la boue des tranchées!).
Aucun travail pénible ne les rebute.
Certaines deviennent "obusettes" ou "munition nettes" dans les aciéries.
La position debout face au tour toute la journée, les jets d'huile rendent cette tâche particulièrement difficile.
Les ouvrières sont appelées "cheveux verts" tant les émanations de sulfate de cuivre sont importantes.
La journée à l'usine atteint dix à treize heures, parfois quatorze.
Les équipes fonctionnent jour et nuit, et même le dimanche ...
"Si les femmes qui travaillent dans les usines s'arrêtaient seulement vingt minutes, les Alliés perdraient la guerre" assure le maréchal Joffre.
Malgré
ces
belles
paroles
et
les
promesses
de
Gascon
du
ministre
du
Travail,
Albert
Thomas,
"à
travail
égal,
salaire
égal",
les
travailleuses
sont
payées moitié moins que les hommes ...
"TENIR» AU FRONT ET À L'ARRIÈRE" ...
Pendant quatre ans, les hommes, les femmes, chacun de leur côté, doivent "tenir" ... sans cesse "tenir" ...
Les hommes, au Front, sont bloqués dans les tranchées pendant la longue "guerre de position" de décembre 1914 à mars 1918.
Ils souffrent de cette guerre d'usure.
Ils doivent résister à la pluie, à la boue, au froid, aux poux, aux rats.
Et puis, à la peur: la peur de l'attente, la peur de l'assaut, la peur des gaz.
Quand
les
"poilus"
ont
droit
au
repos,
ils
sont
cantonnés
dans
des
villages
détruits, trop près des lignes de feu pour pouvoir reconstruire leurs forces.
Ces
hommes
épuisés
ont
souvent
le
sentiment
d'être
"oubliés
par
l'Arrière"
qui
n'a pas pris assez conscience de l'ampleur des sacrifices consentis.
Peut-être,
qu'effectivement,
pendant
les
deux
premières
années
de
la
guerre,
les
populations
civiles
n'ont
pas
pris
toute
la
mesure
de
ce
qu'enduraient
les
soldats,
surtout
à
cause
de
l'État
qui
avait
si
bien
organisé
la
censure
du
courrier, de la "Presse" et le "bourrage de crâne".
Ainsi, on pouvait lire dans "Le Journal", en novembre 1915 :
"Je reviens du Front, je les ai vus, et j'en tremble encore.
Je rentre d'un monde idéal.
Quand je suis monté vers eux, je les plaignais.
Quand j'en reviens, je les envie" ... ,
Ou encore, dans l' "Écho de Paris" de mai 1916:
"A propos de Verdun, nos pertes ont été minimes"
190000 hommes sont morts et 216000 ont été blessés.
Ils ont reçu vingt et un millions d'obus tirés par l'ennemi".
Sans commentaire ...
Peu
à
peu,
on
connaîtra
les
affreuses
conditions
de
vie
des
tranchées
et
les
soldats
sauront
que
ceux
de
l'Arrière,
notamment
les
femmes
et
les
enfants,
connaissent aussi des années noires.
Pendant
toute
la
durée
de
la
guerre,
le
Nord
de
la
France
connaît
une
occupation
très
dure
par
une
armée
en
guerre
qui
prélève
une
grande
partie
de
sa
nourriture
sur
les
habitants,
les
réduisant
à
"la
portion
congrue".
Les dix départements envahis sont dans la zone des combats.
L'artillerie
des
deux
camps
bombarde...
289000
maisons
détruites,
420000
endommagées,
sans
compter
les
hectares
de
terres
"labourées"
par
les obus.
Dans cette zone, la répression est lourde pour la moindre incartade, des otages sont exécutés.
Dans
toute
la
France,
la
vie
est
chère,
très
chère
et
es
prix
augmentent
de
20
%
en
1915,
de
35
%
en 1916; 120 % en 1918 (les salaires en 1918 n'augmentent que de 75 %).
A
cette
montée
vertigineuse
des
prix
qui
épuisent
les
ressources
des
familles,
s'ajoutent
les
différents emprunts d'État pour la "Défense nationale".
Ils seront tous couverts, mais bien des familles en sortiront ruinées.
Certaines femmes donneront leurs bijoux et même leur alliance.
Le
ravitaillement
devient
un
casse-tête,
les
restrictions
s'appliquent
sur
certains
produits,
pourtant de première nécessité : sucre, pain, viande, charbon...
Les boutiques sont fermées deux à trois jours par semaine, tellement la pénurie est grande ...
Le système "D" s'installe.
On se met partout à l'agriculture.
La moindre parcelle de terrain est exploitée.
A
Paris,
les
vaches
broutent
sur
l'hippodrome
de
Longchamp,
les
cultures
maraîchères
investissent le parc de Versailles, les haricots et les carottes poussent au Luxembourg.
Les plus beaux choux se récoltent dans les jardins de la Bibliothèque Nationale.
Au
Mans,
à
Rennes,
à
Bordeaux,
à
Lyon...
toutes
les
grandes
villes
mettent
leurs
jardins
publics
en culture.
Chaque école, chaque usine de France a son coin de terre ensemencée ...
Et puis, pour ne rien perdre, on pratique "l'art d'accommoder les restes".
Voici
un
repas
"gastronomique"
très
en
vogue
dans
les
restaurants
à
la
mode
:
croûtes
de
moelle
végétale,
joues
de
bœuf
aux
croquettes
d'orties,
fanes
de
carottes
à
la
crème,
cosses
de
petits
pois
à
la
Française,
gâteaux
aux
écorces
de
fruits...
le
tout
arrosé
de
vin
de
frêne,
de
piquette
d'orge
et de chiendent...
Ecolo, non ?
Une dernière calamité afflige les civils, la fameuse grippe que l'on surnomma (on ne sait pas trop pourquoi) "espagnole"..
Elle apparaît en France, en avril 1918 et frappe en trois vagues.
Une
première
assez
bénigne
et
deux
particulièrement
meurtrières
en
septembre, octobre, puis en décembre qui fera 100000 morts ...
ANGOISSE ET RÉCONFORT
Pour
les
hommes
du
Front,
terrés,
isolés
dans
un
univers
cauchemardesque
de
boue, de barbelés, de trous d'obus, il faut garder le moral et l'espoir.
Certes,
il
y
a
les
solides
amitiés
qui
se
nouent
entre
compagnons
de
misère,
mais ce qui les aide à survivre, c'est le souvenir de figures aimées.
Ils
évoquent
ceux
restés
"là-bas",
les
parents,
les
enfants,
mais
surtout
la
femme, leur femme, dont ils espèrent des nouvelles.
Aussi,
celui
que
l'on
attend
avec
impatience
dans
les
casemates,
c'est
le
vaguemestre et le courrier qu'il apporte.
Pour
les
poilus,
seuls,
sans
famille,
ceux
que
le
romancier
Henri
Lavedan
a
surnommé
les
"mutilés
du
cœur",
on
invente
les
"marraines
de
guerre"
qui
leur
écrivent
régulièrement
et
les
accueillent
lors
des
rares
permissions et, parfois, des idylles se nouent...
D'autres
idylles
naissent
aussi
dans
les
hôpitaux,
entre
patients
et
infirmières
volontaires.
Ces "dames blanches" assistent les médecins, soignent et pansent les blessés.
Leur
seule
présence
est
un
réconfort
pour
les
"gueules
cassées",
ceux
qui
sont
asphyxiés,
aveuglés
par
les
gaz,
ceux
qui
sont
percés
de
balles
de
mitrailleuses ou d'éclats d'obus, ceux qui devront être amputés.
Leur
douceur
et
leur
patience
aident
tous
ces
malheureux
à
reprendre
goût
à
la vie ou, hélas, à mourir.
Au
pays,
on
attend
les
nouvelles
du
Front
avec
la
même
impatience
et
on
tremble
...
Pour
la
femme,
c'est
l'angoisse
de
recevoir,
un
jour,
un
des
fameux
télégrammes
apportés
par
la
gendarmerie
ou
le
Maire,
celui
qui
annonce
la
mort
de
l'être
cher
...
Aussi,
quel
soulagement
de
voir
arrives
le
facteur...
ou
la factrice !
L'épouse lit la précieuse missive, le cœur serré.
Elle
essaie
de
localiser
le
lieu
où
se
trouve
le
soldat,
mais
la
censure
veille
et
interdit de donner toute précision ...
Qu'importe,
même
si
les
nouvelles
sont
banales,
même
si
les
mots
sont
sans
intérêt... ces quelques lignes dérisoires rassurent.
Il est vivant !
Et pour qu'il vive longtemps, elle prie sans cesse.
D'ailleurs,
les
églises
accueillent
de
plus
en
plus
de
fidèles,
avides
de
réconfort
et d'espoir.
Des ex-voto couvrent les murs.
Des
cierges
brûlent
devant
les
saints
protecteurs,
surtout
devant
Sainte
Radegonde, la sainte patronne des soldats.
Des
personnes,
moins
bien
intentionnées,
exploitent
l'inquiétude
des
épouses:
tireuses
de
cartes,
voyantes
et
autres
diseuses
de
bonne
aventure
qui
prétendent
lire
l'avenir
et
proposent,
à
prix
d'or,
des
"gris-gris"
censés
protéger
les combattants.
Un
lien
très
fort
s'établit
entre
les
couples
malgré
l'éloignement,
leurs
pensées
se
rejoignent
et
les
aident
à
croire
au
retour
et
parfois,
c'est
le
choc,
l'émotion inexprimable.
La porte s'ouvre, il est là, celui qu'elle n'osait espérer.
Certes,
la
permission
sera
courte,
mais
comme
c'est
merveilleux
ces
heures
de bonheur arrachées à la guerre ...
Elle s'achèvera, enfin, cette guerre avec un bilan terrible.
Des millions de morts, de mutilés, de survivants amers.
Les hommes doivent admettre que leurs femmes ont évolué en quatre ans.
Elles
ont
su
prendre
leur
place
au
travail
et
n'entendent
pas
retourner
à
leurs
fourneaux.
Elles ont changé d'allure.
Elles
ont
coupé
leurs
cheveux,
raccourci
leurs
robes,
portent
le
pantalon
et
fument en public. ..
Mais cette "libération" n'est qu'apparente.
En fait, même si leur rôle a été capital dans la victoire finale, les femmes restent "inférieures", sans le moindre droit civil ou civique.
Le droit de vote, concédé par les députés en 1919, leur est retiré par le Sénat...
Il faudra, hélas, subir une autre guerre pour qu'elles deviennent des citoyennes à part entière.