Dans l'atelier de l'artisan règne une bonne odeur de menuiserie. Au mur, des outils rudimentaire alignés comme à la parade. Au centre, éclairé par les fenêtres, trône "la chèvre", sorte de billot de bois à quatre pieds auréolé de copeaux blonds qui jonchent le sol. L'artisan manie la hache, l'herminette et le paroir et dégrossit son morceau de bois. Le bois se travaille demi-sec. Abattu en vieille lune, dépouillé de son écorce et débité en bille d'un mètre de long, il est entreposé près de l'atelier. Chacune de celles-ci est elle-même sciée en trois morceaux correspondant à la longueur maxima des sabots. Leur taille se donne en pouces et va du 8 1 /2 (22 cm) au 13 (34 cm). Le bûchage s'effectue à l'aide de la hache à bûcher, appelée aussi hache à épaule de mouton. C'est un outil caractérisé par la forme très particulière de son manche et de son fer décentré sur la gauche pour ne pas gêner le mouvement du sabotier. Le talon est marqué d'une encoche et l'ébauche est fixée sur un billot. La mise en forme est commencée à l'herminette pour être achevée au paroir, sorte de long couteau à un manche fixé par une extrémité. L'artisan taille, épluche, lime sans un raté. Copeau après copeau, la forme émerge de sa gangue parfaitement équilibrée. Le sabot est ensuite creusé à l'aide de gouges, tarières et autres cuillères diverses. La talonnette sert à donner l'arrondi du talon tandis que la rouannette permet de planer le dedans. La finition est assurée au racloir. Il est alors possible de les décorer et de les teinter au brou de noix ou à la suie ou bien encore de les vernir. L'œuvre terminée, devant tant de savoir-faire, on ne peut s'empêcher de penser à la marionnette que "Gepetto" avait créée avant tant d'amour et à qui une fée donna la vie. "Les belles dames, les gros bourgeois dédaignent mes sabots de bois. Le roi peut bien se chausser de veau. Moi je préfère mes durs sabots, sabots de frêne taillés chez nous, ils m'ont coûté quatorze sous." Imaginez un instant une armada de plus de mille sabots ... Sabots massifs tirés d'un morceau de hêtre, propres à naviguer dans la boue, sabots pointus et coquets garnis de cuir, pour danser... Sabots qu'un Maupillier rageur fait claquer comme un homme, ou lourds sabots qui traînent lorsque la terre enfonce ... Faits de bois dur, de frêne, de hêtre ou d'orme pour l'hiver, de vergne pour l'été, plus légers, ou sabots fantaisie en noyer. Certains, destinés aux marins, taillés dans le bois tendre du peuplier, ne causaient aucun dommage aux ponts des bateaux ! Sur le dessus du pied, un coussinet joliment roulé et une semelle intérieure, tous deux confectionnés en paille de seigle, donnaient un certain confort et gardaient le pied au sec. Le "sabaron", sorte de guêtre en cuir, parfois fixé au sabot, complétait la protection. Il était d'usage, afin d'éviter qu'ils ne se fendent, d'entourer le dessus des sabots avec un fil de fer. Celui-ci nommé "pionnette" ou "arçon" était vendu sur les foires et marchés par quelques pauvres bougres qui ont disparu de nos jours. Jusqu'à la dernière guerre, avant que la botte de caoutchouc n'envahisse nos campagnes, le sabotier faisait partie de la vie quotidienne du Bocage. Surnommés "Chausse-Martyrs", ils allaient de village en métairie ils étaient attendus avec impatience ... Le Saint Patron des sabotiers fut aussi le premier d'entre eux. En effet, Saint René (396-450), évêque d'Angers, se retire à Sorento (royaume de Naples), vers l'an 440, pour y façonner des sabots. Le jour de sa fête, le 12 novembre, les manœuvres offraient leur journée de travail au patron sabotier. Le soir, celui-ci les invitait à un banquet et à des danses. La fête finissait fort tard dans la nuit voir le lendemain. Au XVlllème siècle la production était vendue par les boisseliers (fabricant de boîtes en bois et de récipient), les chandeliers (fabricant et marchand de chandelles) et les regrattiers (commerçant de denrée de seconde main) des villes. Comme les charbonniers (livreur de charbon), les sabotiers en forêt se traitaient de "bons cousins" et formaient un corps du Compagnonnage. Venus de la forêt abondait la matière première, les moins farouches, lassés de leur vie d'ermite, se rapprochèrent des villages ouvrirent boutique dans les bourgs. Aujourd'hui, il reste très peu de ces artisans capables de dégager d'une pièce de bois un de ces sabots qui protégeait si bien le pied de l'eau et du froid.