L'épais
brouillard
qui
couvrait
la
campagne
n'avait
pas
disparu
en
cette
fin
de
matinée
d'octobre.
Pas
un
rayon
de
soleil,
pas
une
ombre
ne
pouvaient
indiquer
l'heure
du
repas
aux
valets
de
la ferme qui labouraient le grand champ du Bois.
Mais
le
creux
de
leur
estomac
disait
qu'il
était
temps
de
laisser
reposer
les
trois
paires
de
bœufs et de regagner la ferme toute proche.
Le maître les attendait dans la cour pour prendre le repas avec eux.
Le
temps
de
se
laver
les
mains
dans
la
même
eau
au
creux
d'une
pierre
en
granit
et
tous
allaient se retrouver autour de la grande table massive au milieu de la cuisine.
Je
revois
ces
hommes
au
visage
basané
et
hirsute,
revêtus
chacun
d'un
pantalon
rapiécée
et d'un paletot toujours déboutonné.
Ils entraient dans la pièce en traînant leurs lourds sabots sur le sol de terre battue.
A
l'extrémité
de
la
table,
le
maître
s'installait
à
la
place
d'honneur
et
tous
s'asseyaient
sur
un banc après lui.
Il
servait
la
soupe
fumante
et
après
avoir
signé
le
gros
pain
des
huit
livres,
il
le
distribuait
autour de lui.
La tête penchée au-dessus de l'écuelle, on mangeait presque toujours en silence.
De
temps
en
temps,
les
hommes
buvaient
au
même
pichet
un
vin
clair
de
la
dernière
récolte.
Je n'aimais pas ces heures de repas….
Les
hommes
mangeaient
seuls
et
jamais
les
femmes
et
les
enfants
ne
s'attablaient
pas
pour
manger avec eux.
Nous devions toujours attendre la fin des repas.
Quand
le
maître
avait
refermé
son
couteau,
quand
il
s'était
levé,
tous
les
domestiques
en
faisaient autant.
Et pendant qu'ils sortaient, la tâche était distribuée à chacun pour le reste de la journée.
Ravigotés par ce repas, ils retournaient sans répit à leur travail.
Avec
mes
frères,
nous
allions
porter
la
collation
aux
moissonneurs,
pendant
les
durs
travaux de l'été.
Quand
le
soleil
allongeaient
l'ombre
des
arbres,
à
l'orée
du
champ,
ils
retrouvaient
l'appétit
avec de la mogette, un morceau d'andouille et de pâté.
Une abondante "trempine" faite de pain et de vin rouge sucré venait apaiser leur soif.
Souvent,
nous
restions
goûter
avec
eux,
car
ils
aimaient
bien,
faire
partager
les
galettes
de
blé noir.
Je
me
souviens
de
ces
soirs
où
dans
la
cuisine
régnait
une
forte
odeur
de
soupe
aux
choux
que l'on servait régulièrement accompagnée de la mogette à tous les repas.
La viande était rare en semaine.
Quelquefois,
on
disposait
sur
la
table
un
peu
de
charcuterie
et
du
jambon..
ou
même
un
lapin de garenne prit au collet rendait le menu plus copieux !!
Les repas se terminaient presque toujours avec le fromage blanc de la ferme.
En hiver, c'était la bouillie de farine.
En
été,
le
soir,
on
savait
apprécier
le
caillé
ou
le
traditionnel
laitage
fait
de
mil
et
que
l'on
distribuait aux amis pendant le temps de la moisson.
J'ai
toujours
gardé
en
mémoire
ces
crèmes
fouettées
que
faisait
ma
grand-mère
avec
les
œufs de perdrix découverts au printemps dans un champ de trèfle ou de seigle.
Ainsi
donc,
chez
nous,
toute
l'année,
les
produits
de
notre
récolte
pouvaient
suffire
à
notre
nourriture.
Elle n'était pas peut-être pas très variée, car à la ferme on tirait profit légumes de saison.
Et puis, on ne jetait jamais rien.
Le
matin,
avant
le
"pansage"
pendant
que
les
femmes
"passaient"
le
lait,
les
hommes
mangeaient les restes de choux vert réchauffé avec de la crème.
Et que dire du pain de six, huit ou douze livres, pétri, fermenté et cuit dans le fournil ?
Avec
la
croûte
épaisse
et
dure,
il
pouvait
attendre
la
prochaine
fournée,
trois
semaines
plus
tard.
J'appréciais beaucoup notre pain de ménage.
Il sentait bon la fleur de farine.
Dans les fermes avoisinantes on n'en faisait pas de meilleur.
Et puis n'était-il pas le symbole de tout notre travail ?
J. Maupillier (Garde)