Louis XVI n'est pas un roi vraiment populaire dans notre histoire. Dépassé par les évènements, ou refusant l'évidence, traître à la Révolution, ses déboires nous font presque oublier au passage la complexité de l'histoire révolutionnaire, puisque la Terreur correspond à la prise de pouvoir des extrémistes, et qu'il est évident que les Révolutionnaires n'avaient aucune intention au départ de se débarrasser du Roi. Mais c'est une autre page de l'histoire. Or, le vrai Louis XVI, ou plutôt l'autre Louis XVI, c'est l'expédition de La Pérouse qui nous le dévoile. Il existe peu d'exemples de souverain ou de chef d'Etat associé à une aventure aux facettes aussi multiples, humaniste, scientifique, exploratrice, une aventure qui fait avancer l'humanité. On pense évidemment à Kennedy et au projet d'envoyer un homme sur la lune. Ni Louis XVI ni Kennedy ne verront l'aboutissement de la mission qu'ils ont rêvée. Alors, pourquoi cet intérêt ? On dit Louis XVI pénétré de son siècle et des idées des philosophes de lumières, et on le dit aussi passionné de voyages, de sciences. On imagine aussi que, très influencé par la relation des voyages de Cook, il ait songé aux bénéfices non pas seulement scientifiques mais aussi politiques, commerciaux, militaires, coloniaux (dans un contexte de rivalité intense avec l'Angleterre) de cette expédition. Le projet impressionne par le niveau de détail, par le soin apporté à la planification de la mission de La Pérouse. 1. La première partie donne un plan détaillé de la navigation, comprend en théorie 150.000 kilomètres à parcourir en quatre ans. Le Roi autorise à faire les changements qui lui paraîtraient nécessaires dans les cas qui n'ont pas été prévus... Le but est avant tout de compléter la cartographie élaborée par Cook. Les instructions impressionnent par leur prudence et un certain humanisme. Ainsi Louis XVI demande que les deux frégates ne soient jamais éloignées l'une de l'autre. 2. La deuxième partie traite des objectifs politiques et commerciaux. A l'époque, l'empire colonial espagnol s'effondre. Les Anglais et les Français cherchent à s'en emparer. Il est demandé à La Pérouse de faire l'état des colonies portugaises à l'escale de Madère, vérifier l'évacuation des anglais à l'escale de la Trinité, de repérer des îles offrant une position stratégique, comme Georgia. Mêlées à ces considérations géostratégiques, il y a la volonté de comprendre le monde, une vraie volonté anthropologique. Vers la nouvelle Calédonie, les îles de la Reine-Charlotte, il est demandé de bien examiner si les conditions de production, le climat, la situation sont propices au commerce. Louis XVI s'intéresse au commerce des loutres, d'une grande valeur monétaire à l'époque, il demande à La Pérouse une évaluation des forces en présence en des lieux bien précis (anglais, espagnols, russes vers les îles Aléoutiennes). Il s'intéresse aussi aux possibilités de commerce avec le Japon et la Chine, deux empires à l'époque absolument rétifs à toute vraie ouverture vers les Européens. C'est une vraie mission de "renseignement" qui est demandée à La Pérouse, avant tout un militaire, ne l'oublions pas. Il fera "toutes les recherches qui pourront le mettre en état de faire connaître avec quelque détail, la nature et l'étendue du commerce de chaque nation, les forces de terre et de mer que chacune y entretient, les relations d'intérêt ou d'amitié qui peuvent exister entre chacune d'elles...". 3. La troisième partie est la partie scientifique. Compléter les connaissances en astronomie, cartographie, météorologie, connaissances de la faune, de la flore, anthropologiques. 4. La quatrième partie donne des consignes d'engagement et de respect des populations locales avec lesquelles entreront en contact les équipages de l'expédition. En fin de quatrième partie, cette phrase : "Sa Majesté regarderait comme un des succès les plus heureux de l'expédition, qu'elle pût être terminée sans qu'il en eût coûté la vie à un seul homme." 5. La cinquième partie donne des instructions sanitaires extrêmement précises. Vivres, entretien, hygiène, afin de se prévenir notamment du scorbut, préoccupation constante de La Pérouse. Au final, c'est une expédition mûrement préparée, planifiée jusqu'au moindre détail, dans laquelle le Roi s'implique personnellement. Ce n'est pas une exploration au hasard, ce n'est pas un pur voyage scientifique mais bien un voyage aux objectifs multiples : renseignement, cartographique, scientifique, anthropologique et ethnologique, commercial, stratégique. C'était un grand projet pour la France, le tremplin vers une politique extérieure différente. Le Roi ne reverra jamais La Pérouse, et La Pérouse ne reverra jamais la France. Pendant son voyage, La Pérouse sera conscient de l'importance de sa mission. Méticuleux en tout, on le voit suivre en tous points son plan de route royal. Il quitte des lieux féeriques à contrecœur pour obéir à ses ordres. Il mesure, relève, recense, plante des arbres fruitiers ou des plantes qui selon lui sont nécessaires aux indigènes locaux. Il s'émerveille en découvrant des espèces nouvelles, il cherche des correspondances entre les langues, s'étonne des similitudes entre langues polynésiennes éloignées de milliers de milles. Il fait un travail extraordinaire de détail des langues, énumère les mots importants, cherche à en comprendre les bases de la grammaire... Il réalise l'importance des vents dans la création des réseaux humains dans le Pacifique. Avec son naufrage et la disparition de l'expédition, ses derniers écrits resteront à jamais engloutis dans les eaux de Vanikoro.