J'aime la prière des cloches à l'Angélus de l'aube qui féconde mes champs. J'étais toujours émerveillé lorsque, tout gamin, j'entendais sonner les cloches de mon village. Je m'arrêtais souvent pour regarder le clocher d'où s'échappaient avec harmonie ces carillons magiques. J'aurais tellement voulu voir les cloches de près ! Un jour que le sacristain avait oublié de fermer la petite porte du clocher, j'avais gravi, avec un camarade de mon âge, l'interminable escalier tournant à marches de pierre. Après avoir escaladé les charpentes, nous nous étions trouvés devant trois cloches énormes. Les gros battants pendaient immobiles et les parois épaisses étaient gravées d'inscriptions qui nous révélaient leur dates de baptême. "L'an 1719, j'ai été fondue…. J'ai été bénite par ….et nommée Alexandrine,… Mathilde,…. Charlotte…. Parrain… Marraine…" Devant elles, nous restions là, muets, comme en extase ! Et nous nous posions des tas de questions…. Comment ces pesantes cloches pouvaient-elles bien quitter le beffroi pour se rendre à Rome ? (N'avions-nous pas, chaque année, l'obligation de les suppléer avec nos crécelles ?). Les cloches accompagnaient les hommes aux étapes importantes de la vie. J'entends encore les airs populaires que le sonneur s'évertuait à jouer (sur trois ou quatre note) lors d'un mariage ou d'un baptême. Ils étaient suivis de joyeuses envolées qui, en ce moment-là, ne laissaient jamais indifférents les gens des alentours. Leurs "vibrations d'airain" devenaient plus graves quand la mort était passée dans le village… Un glas lugubre rassemblait les parents et les amis du défunt. Je me souviens aussi de l'appel pressant des cloches d'alarme pour annoncer l'incendie, et dans des temps plus ancien, pour prévenir d'une émeute ou d'une attaque des ennemis. C'était alors le tocsin, tintement sinistre et prolongé… Ces cloches, elles ont suscité bien des convoitises… N'a-t-on pas durant des périodes douloureuses brisé les cloches pour les faire taire ? N'est-on pas venu les arracher à leurs campaniles pour en fabriquer des monnaies ou des canons ? Certaines ont échappé au bannissement général et le beffroi de l'église n'est pas resté muet. Fidèles à leur mission, ces "vieux chantres de bronze", rythmaient la vie laborieuse des gens du pays, matin, midi et soir. Un charme inexplicable m'a toujours envahi, lorsque pendant les travaux des champs, venait jusqu'à moi "la voix argentine" d'une petite cloche de chapelle perdue dans la campagne. A midi, les premiers tintements arrêtaient notre ouvrage. Chacun se découvrait alors, se recueillait, se joignait à la prière des cloches. Quelle lourde responsabilité pour le sonneur de cloches en ce temps-là ! Si par mégarde, les sonneries de l'Angélus du matin réveillaient les habitants plus tôt, les quolibets ne manquaient pas à l'encontre su sacristain ! C'est avec une émotion délirante que j'ai entendu les carillons de la victoire après la guerre. La joie et l'espérance revenaient enfin habiter notre monde… Joyeuses envolées de Pâques, gais carillons de la nuit de Noël. Symboles de vie et de paix. Bourdons des villes ou cloches de nos campagnes, continuez à animer longtemps encore le ciel de mon pays. Jacques Maupillier (Garde).