J'habitais une ferme adossée au versant d'un coteau dominant les prairies et les terres qui s'étendaient jusqu'à une petite rivière. Au milieu de la grande cour, entre la remise et l'étable se dressait une construction en pierres de granit burinées par le temps. On y pénétrait par une petite porte à deux battants qui ouvrait sur un large couloir au fond duquel s'élevait un escalier de bois. A gauche, la vaste cuisine éclairée seulement de deux étroites fenêtres. Au plafond, de grosses poutres noircies. Pour nous, la cuisine, c'était un lieu privilégié, c'était la "maison". En effet, c'était là que la famille séjournait le plus longtemps pour les repas, les veillées. C'était aussi là que j'ai grandi avec mes frères et sœurs. Je me souviens encore de la haute cheminée devant laquelle je venais souvent me réfugier. Au-dessus de moi, pendaient toute l'année, trois ou quatre jambons et une trentaine d'andouilles fumées, accrochées au conduit. Elles attendaient là, la saison des foins pour être consommées, comme le voulait la coutume. Une petite étagère de bois faisait le tour de la hotte et portait les objets les plus hétéroclites, posés sans aucune recherche. Chandeliers en cuivre, et en étain de chaque côté d'une croix, une vierge de faïence aux couleurs vives, une pyramide de morceaux de savon à sécher, des lanternes…. Mon grand-père venait toujours se reposer dans un fauteuil à droite de la cheminée entre la salière et son lit qui occupait le coin. Le long du mur suivaient deux autres lits à rideaux placés côte à côte et prenaient beaucoup de place dans la pièce. A la tête de chaque lit était fixé un bénitier, entouré d'images pieuses de la Vierge et du Sacré-Cœur. Au milieu de la pièce, une lourde table retrouvait son équilibre sur un sol de terre battue, grâce à plusieurs petites plaquettes de bois posées sous les pieds. Un pain de ménage enveloppé d'une toile rustique reposait sur la table à côté d'un pichet. Je revois encore ma mère, avec son tablier rayé debout, surveillant les plats qu'elle faisait réchauffer sur la braise. Non loin d'elle, sur la plaque de cheminée des "ponnes" (cuves en terre cuite) à demi- pleine de lait, le chauffe-pieds de grand-mère et les ustensiles de cheminée. Et puis, un chat dormait sur un "paillasson" à côté du chien de la maison. La vielle horloge s'étirait le long du mur blanchi à la chaux. Elle avait déjà marqué bien des heures de la vie de notre famille et continuait à battre de son tic-tac les activités journalières. Chaque dimanche matin, mon grand-père la remontait dans un cérémonial religieux. Je ne voudrais pas oublier les objets disparates cachés sous les lits et qu'un regard indiscret permettait de remarquer… des sabots, des souliers, des fuseaux de lin et les vanneries inachevées de la dernière Veillée. On pouvait encore apercevoir des paniers accrochés au plafond, le porte-cuillers l'on rangeait les couverts après chaque repas. Comme dans la plupart des maisons de ferme, il y avait la "grande chambre" meublée de deux ou trois lits, d'un vaisselier aux assiettes dessinées et d'une armoire spacieuse où s'entassait des piles de draps. J'aimais particulièrement grimper au grenier qui s'étendait sur toute la longueur de la maison. Il était éclairé par de petites ouvertures et il y régnait une odeur bien caractéristique des récoltes, de graminées et de mogettes, le tout disséminé en tas sur le plancher. De temps en temps, les hommes venaient les brasser avec des pelles de bois, pour les faire sécher. J'aimais les aider. La maison de mon enfance ? Pour moi, c'est la grande cheminée nous aimions faire jaillir les étincelles des bûches qui se consumaient. Ce sont les meubles sentant bon la cire d'abeille. Ce sont encore les repas, les veillées, les fêtes de famille..; toute une vie régulière rythmée aux heures du jour, des saisons, des fêtes et des travaux… Chez nous, j'avais une impression de calme, de joie sereine après les rudes journées de labeur, d'un tranquille bien-être dans lune maison accueillante, véritable havre de paix et de confiance pour l'enfant que j'étais. Il faisait bon vivre chez nous ! Jacques Maupillier (Garde)